Abou'l-Abbâs Ahmad al Tîfâchi . Né en 1184 dans le sud tunisien , étudia à
Tunis, poursuivit ses études en Égypte et à Damas Il écrivit de multiples ouvrages juridiques, scientifiques et littéraires. L'Encyclopédie de l'Islam l'honore du titre de " Météore
de la Religion " et cite un manuscrit sur des pierres précieuses qui en détaille les usages médicinaux et magiques. Dans "Les Délices des cœurs", manuscrit traduit en 1981 de l'arabe par René R.
Khawam, le poète érotologue Ahmad al-Tîfâchî rapporte les anecdotes et les poèmes transmis oralement dans les pays d'Occident et d'Orient évoquant les mœurs en toute
liberté.
Douze chapitres aux titres évocateurs : Des agents de débauche… Des femmes libertines… Des homophiles et des jeunes imberbes… Du «
piquage »… Du « massage » (…ou des femmes entre elles)… Douze prétextes à rapporter les aventures les plus extravagantes, les plus cocasses, les plus émoustillantes :
Extraits
" J'ai lu dans les livres anciens, écrit Ibn Mâsawayh, que la prédisposition au massage vient à la femme de ce que sa mère, au moment de
l'allaitement, consommait en trop grandes quantités du céleri, de la roquette ou du lotus avant de lui donner le sein : les éléments qui contiennent ces plantes passent dans le lait et se fixent
principalement entre les jambes du nourrisson, provoquant en cet endroit de vives démangeaisons. Il se passe alors pour les femmes ce qui se passe chez les hommes de tempérament passif - dont la
maladie n'a d'autre origine qu'une démangeaison dans le fondement. "
La propension au massage peut aussi se déclarer plus tard, chez les filles que l'on expose à l'amour avant l'âge où le corps est complètement développé. Arriver à la nubilité dans de telles
conditions fait naître par contraste un violent désir des caresses féminines, de même que la passivité chez les hommes naît fréquemment d'une initiation trop précoce aux femmes - ainsi que nous
le démontrerons dans la suite de ce volume. Cela dit, une habitude ainsi acquise peut disparaître facilement, pour peu que passe un peu de temps et qu'un nouvel objet se propose alors à la
satisfaction du désir. La tendance innée, en revanche, est difficile à guérir, car elle est loin d'accepter un traitement médical, comme nous l'avons montré il y a un instant.
Si l'on en croit un autre médecin, le massage obéit à une propension innée à ne recevoir d'excitation qu'en un point précis situé juste à
l'endroit où se rejoignent les deux lèvres de l'huis, lieu que l'on pourrait comparer à une sorte de furoncle renversé. Les exhalaisons qui se condensent tout autour sont source de chaleur et
provoquent de violentes démangeaisons à la racine des deux lèvres, cette chaleur ne tombant et ces démangeaisons ne cessant que sous l'effet du frottement induit par le contact avec une autre
femme. Si en effet la démangeaison se dissipe tandis que la température s'abaisse et que le feu s'apaise, c'est tout simplement parce que l'eau que la femme laisse couler dans son excitation est
froide, ce qui amène la masseuse à chercher par tous les moyens à la faire jaillir, tandis que celle de l'homme est chaude et ne saurait lui être ici d'aucun secours.
Sache, ô lecteur, que les femmes qui se trouvent dans ces dispositions se considèrent comme des chefs-d'œuvre de grâce et se classent entre
elles suivant cette qualité, le titre de " gracieuse " qu'elles se donnent les unes aux autres comportant divers degrés plus ou moins élevés. Si nous disons incidemment d'une femme qu'elle est
gracieuse, elles subodoreront aussitôt qu'elle s'adonne au massage. Elles éprouvent les unes pour les autres les plus vives passions, tout comme les hommes d'ailleurs, quoique avec plus
d'intensité encore. Chacun dépensera pour l'autre autant que l'homme pour la femme dont il est le plus passionnément épris, parfois, même le double, voire le quadruple, allant jusqu'à prodiguer
pièces d'argent et d'or par centaines et même par milliers. J'ai connu en Occident l'une de ses femmes : après avoir dépensé pour l'objet de ses désirs tout ce qu'elle possédait en numéraire, et
malgré les reproches de son entourage qui finit par se lasser, elle fit inscrire au nom de la personne aimée tout le bien-fonds dont elle disposait - soit à peu près l'équivalent de cinq mille
dînârs.
Les femmes de cette espèce emploient également une quantité de parfum qui dépasse vraiment la limite ordinaire, et leur façon de s'habiller trahit un tel souci de propreté que ce mot même semble
ici insuffisant. De même choisissent-elles leur mobilier, leur nourriture et jusqu'au moindre objet dont elles s'entourent avec tant de soin qu'on serait bien en peine de trouver ailleurs que
chez elles, et ce dans tous les siècles, rien qui fût de meilleure qualité ou de meilleur goût.
La règle entre elles veut que dans le jeu de l'amour, celle qui aime se place au-dessus et celle qui est aimée au-dessous - à moins que la
première n'ait un corps trop frêle ou la seconde des formes plus développées : dans ce cas, c'est la plus légère qui se met au-dessous et la plus corpulente au-dessus, car son poids, facilitant
le frottement, permet une friction plus efficace. Voici comment elles procèdent : celle qui doit rester en dessous s'étend sur le dos, allonge une jambe et replie l'autre tout en inclinant
légèrement son corps sur le côté, offrant ainsi son huis largement ouvert ; l'autre cependant loge en son giron la jambe repliée, pose les lèvres de son huis entre les lèvres qu'on déploie à son
intention et se met à en frotter l'huis de sa compagne en un mouvement de haut en bas et de bas en haut qui met en branle tout le corps. Cette opération est baptisée " massage du safran ", car
c'est de cette façon très précisément qu'on écrase le safran sur les étoffes à teindre. L'opération doit insister chaque fois sur une lèvre en particulier, la droite par exemple, puis sur l'autre
: la femme changera alors légèrement de position de façon à bien frictionner la lèvre gauche... et elle ne cesse d'agir ainsi jusqu'à ce que ses désirs et ceux de sa partenaire soient assouvis.
On assure qu'il n'est d'aucune utilité de chercher à appuyer sur les deux lèvres à la fois, car le lieu où naît le plaisir reste alors en dehors de l'action. Notons enfin que les deux partenaires
peuvent s'aider à ce jeu d'un peu de graisse de saule parfumée au musc.
Mais il est d'autres conditions qui président aux activités amoureuses entre femmes, conditions qui peuvent donner lieu à des considérations
infiniment détaillées, mais qui ne s'en révèlent pas moins hautement nécessaires : d'abord une connaissance parfaite des lois qui régissent la conduite lubrique des femmes, mais aussi un art
consommé de cette musique d'amour que produit le souffle lorsqu'il sort de la gorge ou qu'il passe par les narines, enfin une science tout aussi consommée des phrases qui provoquent le transport
passionnel et déchaînent à volonté des tempêtes de désir. Autant de vertus que ces femmes prisent plus que tout, dont elles s'entretiennent sans se lasser à longueur de réunions, qu'elles
enseignent à leurs élèves, qui les couvrent de cadeaux de haut prix pour être autorisés à se perfectionner auprès d'elles."
.../...
Seule à seule, je me suis étendue
tout près de mon amour,
et j'ai surpassé les hommes
par mon habileté.
Si mon massage agit sur elle
avec assez de persuasion, nul doute qu'elle n'adopte
définitivement ces jeux frivoles,
renonçant à jamais aux entreprises du mâle !
Que de massages nous avons menés,
ô ma sœur,
prenant pour cela
soixante-dix prétextes.
Je décevais mes amants
en me dérobant à leurs caresses
dès que je sentais approcher
la tête de leur instrument.
Je craignais bien sûr d'être enceinte
et de laisser paraître une grossesse
qui n'eût pas manqué de réjouir l'ennemi,
mais j'avais surtout peur d'encourir
le blâme des censeurs, châtiment
qui est bien le pire que je sache.
Tandis que nous, rien de tel ne nous menace
lorsque nous nous caressons,
à l'inverse des adultères...
et même si leur appétit
s'en trouve mieux satisfait
- à en croire les sages-femmes.
Ahmad al-Tifachi, Les Délices des cœurs, éd. Phébus, Paris, 1998
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